Il y a quarante ans, une guerre majeure entre l’Iran et l’Irak a jeté les bases d’une dynamique régionale profonde et durable. Le conflit – qui a débuté en septembre 1980 lorsque Saddam Hussein a envahi l’Iran, et s’est terminé par une impasse en 1988 – a été le premier test militaire majeur de la République islamique naissante. Il s’agissait d’une bataille existentielle pour les dirigeants iraniens, un an seulement après la révolution de 1979 en Iran. La guerre a fait au moins un million de morts.
Ranj Alaaldin
Nonresident Fellow – Foreign Policy, Center for Middle East Policy
Les héritages de la guerre sont nombreux. Dans les décennies qui ont suivi, l’Iran a développé une capacité marquée à mobiliser les communautés chiites dans toute la région, pénétrant des espaces politiques et idéologiques auparavant imperméables, en particulier en Irak mais aussi en Syrie, au Liban et au Yémen. En outre, c’est en Irak, pendant les phases de formation de la guerre, que la République islamique a commencé à mettre en place un réseau de mandataires, qui s’est étendu à toute la région (notamment en Syrie et au Yémen) ces dernières années. Enfin, en façonnant les perspectives politiques et de politique étrangère des dirigeants actuels en Iran et dans les États arabes du Golfe, la guerre a en outre semé les graines des rivalités géopolitiques actuelles qui ont entravé les efforts visant à garantir une paix régionale durable.
Mobilisation des chiites
Une dynamique clé pendant la guerre – et qui se poursuivra dans les décennies suivantes – a été la mobilisation par l’Iran des groupes d’opposition chiites irakiens. Téhéran a étendu son soutien à d’autres groupes d’opposition, comme les Kurdes, mais il s’est particulièrement attaché à stimuler une campagne d’insurrection chiite à l’intérieur de l’Irak, à encourager les défections massives de l’armée irakienne et à tenter de déclencher un soulèvement au sein de la population majoritairement chiite. Cela n’a servi à rien. La ferveur révolutionnaire en Iran a joué un rôle déterminant dans la capacité de Téhéran à repousser un ennemi qui disposait de capacités technologiques supérieures et d’une pléthore de soutiens, notamment les États-Unis, leurs alliés occidentaux et les États arabes du Golfe – mais elle n’a pas pu inspirer une réponse similaire en Irak.
Les groupes d’opposition et les combattants soutenus par l’Iran étaient immensément divisés et manquaient d’expérience ou de discipline sur le champ de bataille. La communauté internationale les qualifiait de terroristes islamistes chiites fondamentalistes, et le régime Baas avait une capacité impressionnante à réprimer et à coopter, ainsi qu’à isoler ses forces armées des défections massives.
La grande majorité du personnel chiite au sein de l’armée irakienne – ainsi que les sunnites – a combattu loyalement pendant la guerre. Ce n’était pas par loyauté envers le régime, nécessairement, mais pour empêcher l’Irak d’être colonisé par l’Iran ou de suivre ses traces théocratiques. Les groupes d’opposition chiites alignés sur l’Iran, pour leur part, ont souligné dans leurs publications que la colonisation n’aurait pas lieu, et ils ont présenté la guerre non pas comme une campagne religieuse mais comme une campagne visant à renverser le « gang Tikriti » (une référence à la ville natale de Saddam Hussein et à celle de nombre de ses plus proches confidents et subordonnés).