Les troubles internes provoqués en 133 av. J.-C. par la stagnation économique de la ville de Rome, les révoltes d’esclaves à l’extérieur et les dissensions dans l’armée ont précipité une période de bouleversements politiques incessants connue sous le nom de Révolution romaine, de République romaine tardive ou de chute de la République, 133-27 av. En substance, le système de gouvernement républicain a subi une transition douloureuse et violente, passant d’une oligarchie irresponsable à une forme de gouvernement autocratique plus responsable. Bien qu’il soit difficile d’appréhender les questions politiques et sociales qui ont provoqué les perturbations politiques incessantes de la fin de la République, il est possible de discerner un modèle dans la dévolution de l’autorité légale et constitutionnelle dans la République. Il est possible d’identifier QUATRE étapes vers l’effondrement de l’autorité républicaine.
I. QUATRE ÉTAPES DE LA CHUTE DE LA RÉPUBLIQUE 133-27 av. J.-C.
1. LA CRÉATION DES TRIBUNES POPULAIRES, 133-121 av. J.-C., deux frères, Ti. et C. SemproniusGracchus, exploitent le pouvoir de la tribune plébéienne pour s’emparer du pouvoir à Rome. Ils ont essentiellement utilisé leur sacrosanctitas pour mettre leur veto à toute autre activité publique dans la ville afin de forcer le sénat et les magistrats à se concentrer sur leurs propres agendas politiques. Ils tentent de rétablir l’ordre dans l’armée en récupérant les terres publiques et en remettant les citoyens pauvres sans terre sur des terres. C. Gracchus a également tenté d’accorder aux alliés italiens le statut de citoyen romain. Les deux hommes furent tués avec leurs partisans politiques par des violences populaires urbaines fomentées par l’aristocratie.
2. LA MONTÉE EN PUISSANCE DES ARMÉES PRIVÉES. Lorsque l’oligarchie n’a pas réussi à résoudre le problème militaire, les généraux romains, notamment C. Marius (consul 106, 104-100 av. J.-C.) et L. Cornelius Sulla (consul 88, dictateur 82-79 av. J.-C.), ont recruté des armées privées plus fidèles à eux-mêmes qu’à l’État. En plus de la conscription, ils recrutent des citoyens pauvres sans terre en leur offrant des primes et des terres à la libération. Le statut du soldat, romain ou allié, importait peu à ces généraux, qui accordaient tous deux la citoyenneté aux forces alliées. Finalement, les deux hommes en vinrent aux mains en 88 av. J.-C., au milieu de la guerre sociale et de la rébellion asiatique provoquée par Mithradate. Les sentiments populaires étaient si violents que Sullaw était capable de persuader son armée de campagne en Italie du Sud de marcher sur la ville de Rome pour expulser Marius et ses partisans. C’est ainsi que commence la première guerre civile et le transfert progressif de la loyauté des soldats des lois de l’État à la personne de leurs officiers commandants. Sulla finit par l’emporter à la fois sur Mithradate et sur l’élément marial en Italie (Marius étant mort en 86 av. J.-C.), et tente d’imposer une réforme politique réactionnaire à Rome en tant que dictateur (Dictator rei publicae constituendae = Dictateur dans le but de restaurer la République).
3. LE PREMIER TRIUMVIRAT, 59-53 av. Trois hommes, Cn. PompeiusMagnus, M. Licinius Crassus et C. Jules César,combinent leur influence pour prendre le pouvoir à Rome. Pompée était un général extrêmement populaire qui a vaincu de nombreux ennemis de l’oligarchie, notamment une rébellion en Espagne menée par le général romain renégat Q. Sertorius, une rébellion des pirates ciliciens dans toute la Méditerranée et la défaite finale du roi Mithradate VI du Pont. Pompée avait une armée privée loyale, mais s’avéra politiquement incapable de tenir ses promesses de terres et de primes. En tant qu’officier de Sulla pendant la guerre civile, Crassus était devenu l’homme le plus riche de Rome en profitant des proscriptions de Sulla, c’est-à-dire la mise hors la loi de citoyens romains en inscrivant leurs noms sur des listes et en mettant leur tête à prix, recherchés morts ou vifs. Tous les citoyens proscrits voyaient leurs droits civils annulés et leurs biens confisqués et vendus aux enchères par l’État. Crassusexploite les proscriptions pour acquérir peut-être jusqu’à 20 % des biens de la ville de Rome et d’innombrables propriétés dans toute l’Italie. Il a utilisé sa richesse pour acheter de l’influence au Sénat et dans la population urbaine et s’est imposé comme une influence puissante, mais subreptice, sur l’État romain. César a commencé sa carrière dans une situation apparemment désespérée en tant que neveu de C. Marius confronté à la dictature de Sulla. En tant que jeune aristocrate, il excelle dans la manipulation des symboles de la réforme mariale et de la générosité publique et devient la coqueluche des masses à la fin des années 60 avant Jésus-Christ. En offrant ses capacités politiques pour aider Pompée et Crassus dans leurs programmes politiques, il accède au poste de consul en 59 avant J.-C., essentiellement pour servir d’outil à ses deux partenaires les plus puissants. La rivalité entre ces trois dynastes était intense, mais tant qu’ils maintenaient leur association politique illégale, l’aristocratie sénatoriale était impuissante à les contrecarrer. Finalement, Crassus est tué alors qu’il combat les Pharaons en Mésopotamie en 53 avant J.-C. et Pompée prend ses distances avec César. Il espérait utiliser l’aristocratie pour réduire l’influence de César sur l’armée en Gaule, tout comme l’aristocratie espérait l’utiliser dans le même but, ne serait-ce que pour l’écarter une fois César détruit. Cependant, l’armée de César se révèle supérieure lors de la Seconde Guerre civile (49-46 av. J.-C.). Pompée est vaincu à Pharsale et tué en Égypte, et la plupart des oligarques opposés à César sont éliminés à travers la Méditerranée.
4. LA DICTATRICE DE CAESAR (46-44 av. J.-C.) Après avoir vaincu tous ses ennemis, César se voit accorder une dictature de dix ans dans le but de restaurer la république. Sa solution fut de se reconstituer comme une forme romaine de roi ou de souverain divin hellénistique. Or, depuis 510 av. J.-C., les Romains se targuaient d’avoir obtenu leur liberté en expulsant leur roi étrusque. Le mot même de roi, REX, était un anathème pour la mentalité de la République. Les citoyens romains avaient le devoir civique de supprimer toute tentative de tyrannie par l’assassinat politique et pouvaient le faire en toute impunité. Bien qu’il évite soigneusement le titre de « rex », César tente de s’approprier toutes les facettes de l’autorité constitutionnelle, exerçant à la fois les fonctions de dictateur, de consul, de Pontifex Maximus et de tribun de la plèbe à vie. Au début de l’année 44 avant J.-C., il se déclare DICTATEUR DE PERPETUO (ce qui est inscrit sur ses pièces de monnaie). Il est assassiné par une conspiration d’une soixantaine de sénateurs quelques semaines plus tard. À ce stade, le précédent du règne d’un seul homme avait été établi à Rome. La seule question qui se posait était de savoir lequel de ses partisans serait le plus susceptible de lui succéder à ce poste. Il s’agissait de son arrière-petit-neveu, C. Julius C. F. César Octavianus, ou Octavien.
II. Les causes de la décadence politique :
Modifications économiques et sociales consécutives à l’impérialisme
1. Butin et profits de la guerre. Les conquêtes romaines outre-mer ont entraîné l’arrivée trop rapide de trop de richesses en Italie pour permettre une répartition équitable dans la société. En général, les éléments les plus riches en profitent tandis que les éléments inférieurs ne parviennent pas à suivre le rythme. De plus, les attentes croissantes en matière de profits de la guerre ont conduit à des abus et à des comportements illégaux de la part des gouverneurs et des généraux sur le terrain. La lex Calpurnia de 149 av. J.-C. établit un tribunal permanent pour l’extorsion dans les provinces. La perspective de tirer profit de la guerre a conduit à une concurrence accrue pour les hautes fonctions ainsi qu’à une importante corruption électorale.
2. Statut accru des sénateurs romains.
L’aristocratie romaine était désormais reconnue comme d’importants leaders mondiaux. Les sénateurs et les riches chevaliers se livraient à des pratiques étendues de consommation ostentatoire, créant des maisons de ville palatiales et des « villas d’art » monumentales pour démontrer leur haut rang dans la société.
3. Les équites ou chevaliers sont apparus comme une strate sociale puissante dans la société en partie à cause de leur implication dans les marchés publics qui maintenaient l’empire.
4. Développement d’une économie agricole esclavagiste en Italie et en Sicile. La destruction des fermes dans tout le sud de l’Italie par Hannibal a conduit à une organisation du paysage rural vers de plus grands domaines gérés par des esclavagistes. En général, les rapports indiquent le développement de domaines de taille moyenne dans le but de produire du vin et de l’huile pour l’exportation, un développement démontré par l’émergence des amphores de transport italiennes comme le conteneur d’exportation commercial dominant de la Méditerranée occidentale à la fin du deuxième siècle avant J.-C.. Certains domaines, connus sous le nom de latifundia, pouvaient cependant être énormes. De nombreux investisseurs fortunés ont loué l’ager publicus romain, ou terre publique, pour développer des ranchs de bétail, eux aussi travaillés par des esclaves. Selon une estimation prudente, quelque 250 000 personnes ont migré de force des périphéries méditerranéennes vers les régions centrales de l’Italie et de la Sicile à la suite d’un asservissement dû à un conflit. Rome et les villes italiennes voisines ne disposaient pas de forces de police suffisantes pour surveiller le comportement des esclaves. Les conditions de vie des esclaves étaient généralement difficiles et les rébellions inévitables. Entre 136 et 130 avant J.-C., une révolte massive d’esclaves a pris le contrôle de l’île de Sicile ; en 105 avant J.-C., une deuxième révolte a provoqué des troubles dans toute la Sicile et le sud de l’Italie ; en 72 avant J.-C., la célèbre rébellion des esclaves de Spartacus, qui a mené une importante armée d’esclaves dans toute la péninsule italienne, restant invaincu jusqu’à ce qu’il soit acculé par M. Licinius Crassus en 70. Licinius Crassus en 70 av. J.-C.
4. Émergence de Rome comme capitale impériale. La population de Rome est estimée à 600 000 habitants en 133 avant Jésus-Christ. Les petits agriculteurs, romains et italiens, émigrent vers la capitale à la recherche d’un emploi et d’avantages culturels, même si les conditions de vie restent sordides pour tous, à l’exception des éléments les plus riches. En 200 av. J.-C., Rome n’aurait eu que deux rues pavées dans toute la ville. Avec les bénéfices de la guerre, les magistrats romains se sont engagés dans un programme de construction soutenu afin de développer l’infrastructure urbaine nécessaire – routes, greniers, docks, aqueducs, etc.La langue grecque était couramment parlée dans les rues, et on estime que 60% de la population urbaine était composée d’esclaves ou de personnes d’origine esclave.
Le développement urbain a été rendu possible par les profits de la guerre, mais une fois que les conflits romains ont cessé après 146 av. J.-C., les revenus ont diminué, tout comme les contrats publics. Preuve de la stagnation économique par les années 130 avant JC, mais maintenant Rome avait un grand excédent de population qui ne pouvait pas retourner à la terre en raison des changements agricoles radicaux sans.
5. Les changements dans l’armée. La conquête exigeait le maintien d’un établissement militaire permanent dans les provinces pour faire face aux rébellions. Les autorités romaines continuent de recourir à la conscription pour constituer des armées d’outre-mer, mais la perspective évolue : un conscrit de 18 ans passe 16 à 20 ans hors d’Italie, tout en recevant une solde minimale pour son service militaire. Le service de garnison dans des régions hostiles comme l’Espagne, la Sardaigne et la Corse est peu rentable. Pour Romethe, il en résulte une augmentation progressive de la « conscription », les petits paysans se soustrayant au service militaire en abandonnant leur ferme et en s’installant en ville. Comme le service militaire est basé sur l’évaluation des propriétés lors du recensement romain, l’abandon de la propriété entraîne un déclin du statut civique et l’inéligibilité au service militaire. Dans le même temps, les États alliés italiens sont de plus en plus sollicités pour soutenir l’établissement militaire de Rome à l’étranger. Les États alliés étaient tenus de fournir leurs forces nationales aux efforts de guerre romains. À la fin de la guerre d’Hannibal, on estime que les 2/3 des forces militaires romaines sur le terrain étaient constituées de soldats alliés. De cette manière, les alliés respectaient leurs obligations envers Rome. Cependant, les généraux romains n’avaient aucune obligation de partager les bénéfices de la guerre avec ces alliés. Les alliés ne recevaient ni les terres des peuples conquis, ni les primes en argent. Les alliés, eux aussi, sont devenus mécontents et ont commencé, en 121 avant J.-C., à exiger un statut politique romain à part entière, à la mesure de leur rôle dans le maintien de l’empire. Les dirigeants romains sympathisants ont essayé de nombreuses stratégies pour obtenir de plus grands droits pour les alliés, mais elles ont finalement échoué, provoquant une rébellion généralisée parmi les États alliés, connue sous le nom de guerre sociale en 90 av. Cette rébellion est finalement réprimée par la force et la négociation, mais le processus d’intégration des citoyens alliés dans l’État romain s’éternise jusqu’à la fin de l’ère républicaine. L’enjeu pour les citoyens romains était clair. En 129 avant J.-C., le recensement romain fait état de quelque 294 000 citoyens romains de sexe masculin. Ce nombre est passé à environ 500 000 lors du recensement de 84 avant J.-C., après le règlement de la rébellion de la guerre sociale. Cependant, lorsque le premier empereur romain, Auguste, a effectué un recensement de tous les citoyens romains dans toute l’Italie en 27 av. J.-C., le nombre a atteint 5 millions.
6. La charge financière de l’empire était supportée par les habitants des provinces romaines, qui payaient la dîme à Rome. L’effet de ce fardeau variait d’une province à l’autre, mais la tendance était généralement à la rébellion, à la suppression et à l’imposition d’un fardeau financier encore plus lourd. Ce fardeau était souvent rendu intolérable par le comportement rapace des collecteurs d’impôts romains, qui louaient les contrats de collecte d’impôts aux autorités romaines et étaient donc connus sous le nom de publicani.
Les rébellions dans les deux provinces d’Espagne et en Lusitanie se poursuivent tout au long du deuxième siècle avant J.-C. ; la Corse et la Sardaigne se révoltent en 176 avant J.-C., ce qui aboutit à la réduction en esclavage de quelque 89 000 Sardes par Ti. Semproinius Gracchus, le père des Gracques. En 88 avant J.-C., un roi « philhellène » d’Orient, le roi Mithradate VI de Pontus en Anatolie orientale, incite les habitants de la province romaine d’Asie à se rebeller et à se débarrasser de l’influence romaine. 80 000 Romains, Italiens, leurs familles et leurs esclaves auraient été massacrés en Asie, et la rébellion s’est propagée à travers la mer Égée jusqu’en Grèce. De manière générale, les provinciaux ont eu une attitude résolument anti-romaine tout au long de l’ère républicaine.
Aussi complexes que soient ces problèmes, une classe dirigeante plus responsable que celle qui prévalait à Rome aurait pu les arbitrer avec succès. Le processus d’enrichissement et d’accroissement de l’importance politique a rendu l’ordre sénatorial romain chauvin et arrogant, sans qu’il ait à répondre de ses actes. De nombreux aristocrates de haut rang ont perçu la nécessité de mettre en place de meilleurs moyens de recours et de procéder à des réformes politiques, mais leurs efforts ont été bloqués par une majorité qui ne voulait pas renoncer à sa position privilégiée dans la société. Selon les termes d’un historien romain de renom, l’aristocratie romaine a progressivement dépassé son utilité pour la société.