ByJulia Gossard in 40 Acres, Special on January 16, 2013 at 11:37 am |
Les Misérables est un tour de force émotionnel avec huit nominations aux Oscars, mais comment le film se situe-t-il en termes d’histoire ? Julia Gossard, doctorante en histoire à l’UT, l’explique dans une critique pour Not Even Past.
Une adaptation cinématographique d’une pièce de théâtre est toujours une entreprise risquée. Une adaptation cinématographique d’une pièce de théâtre qui était elle-même une adaptation musicale d’un roman – surtout un roman aussi connu et prodigieux que Les Misérables de Victor Hugo (1862) – est encore plus risquée. Mais après le seul week-end d’ouverture, le nouveau Les Misérables était déjà considéré comme un succès commercial avec une estimation de 18,2 millions de dollars de recettes au box-office (le film a maintenant gagné plus de 100 millions de dollars) et de nombreuses critiques favorables.
Dans l’ensemble, Les Misérables est un film intense, émouvant et magnifique, et je vous suggère fortement de l’ajouter à votre liste de visionnage. Mais malgré ses nombreux triomphes, il manque de contexte historique et peut laisser les spectateurs se gratter la tête sur des éléments de base de l’intrigue.
Le film suit la vie d’un criminel en liberté conditionnelle, Jean Valjean (Hugh Jackman) dans sa lutte pour la rédemption, de 1815 à la rébellion de juin 1832. Après avoir rompu sa liberté conditionnelle, Valjean est poursuivi par l’inspecteur de police Javert (Russell Crowe) pendant près de quinze ans. Sous l’une de ses fausses identités de propriétaire d’usine et de maire de Montreuil, Valjean rencontre Fantine (Anne Hathaway), son ancienne ouvrière d’usine et désormais prostituée mourante. Valjean promet à Fantine de sauver son enfant, Cosette (Amanda Seyfried), de sa vie avec un aubergiste cruel, Thénardier (Sacha Baron Cohen) et sa femme, Madame Thénardier (Helena Bonham Carter), et d’élever Cosette comme sa propre fille. Après avoir échappé à Javert à deux reprises, Valjean et Cosette s’installent à Paris où Cosette tombe amoureuse de Marius (Eddie Redmayne), un républicain français et membre des « Amis de l’ABC ». Marius, ainsi que le chef des « Amis de l’ABC », Enjolras (Aaron Tveit), planifient une rébellion contre la monarchie de Louis Philippe qui coïncidera avec les funérailles du général Lamarque. Cette rébellion, connue sous le nom de Rébellion de juin 1832, est relatée dans la dernière moitié du film, avec Marius, Valjean et Javert qui s’impliquent tous.
La décision du réalisateur Tom Hooper de se concentrer sur les visages et le haut des corps des acteurs au lieu de plans plus larges qui pourraient établir le cadre parisien était particulièrement frappante par rapport à d’autres comédies musicales. Lorsque vous assistez à une comédie musicale dans un théâtre, vous vous concentrez généralement sur l’ensemble des acteurs, leurs interactions et le décor, mais rarement sur les expressions faciales des acteurs, car ils sont éloignés. En employant autant de gros plans, Hooper détourne l’attention du décor, le Paris du 19e siècle, pour la placer sur les personnages individuels.
Ce qui est choquant, c’est que le seul moment où le spectateur peut vraiment se rendre compte que Les Misérables se déroule à Paris, c’est pendant les deux solos de Javert, lorsqu’il vacille de façon précaire sur la corniche du Palais de Justice devant Notre-Dame et, plus tard, sur un pont surplombant la Seine. Même dans ce cas, le spectateur ne voit qu’une vue rapide et floue de Paris la nuit. Comme une grande partie du roman original de Victor Hugo décrit la détérioration des conditions de vie des pauvres dans un Paris de plus en plus industriel et sale, c’était décevant. J’aurais préféré voir Paris comme un personnage en soi, comme il l’est dans le roman, au lieu de l’arrière-plan hors-focus que Hooper a créé.
Ce n’est pas la seule faute des réalisateurs actuels, car il y a peu de contexte historique dans la comédie musicale scénique originale de 1980. Au lieu de se concentrer sur le républicanisme, les échecs de la Révolution de 1789, l’anti-monarchisme, l’augmentation des souffrances et l’austérité des pauvres, l’évolution de la nature et de l’architecture du Paris du XIXe siècle, et les questions relatives à la religion qui étaient des éléments essentiels dans Les Misérables de Hugo, les auteurs de la comédie musicale ont choisi de se concentrer sur les thèmes plus romantiques de Hugo, à savoir la rédemption individuelle et les idées simplifiées de justice sociale. Après tout, ces thèmes romantiques sont plus facilement exprimés dans des chansons émotionnellement puissantes.
En continuant à faire en sorte que ces thèmes dirigent l’intrigue du film, Hooper et William Nicholson, le principal scénariste qui a adapté la comédie musicale au cinéma, négligent les critiques politiques acerbes d’Hugo et même les raisons pour lesquelles des personnages particuliers étaient si en colère et si opposés à la monarchie.
Bien que de nombreux spectateurs soient susceptibles d’être satisfaits par l’intrigue romantique et les grandes chansons, beaucoup, en particulier ceux qui ne connaissent pas le contexte historique, sont sans doute perplexes. Tout au long du film de près de trois heures, mon père m’a donné un coup de coude et m’a murmuré : » Pourquoi Cosette vit-elle avec le gars de Borat (Thénardier, joué par Sacha Baron Cohen) et sa femme ? Pourquoi les garçons sont-ils fous ? Qui est le général Lamarque ? Pourquoi est-ce important qu’il soit mort ? Qui est Louis Philippe ? Est-ce que c’est à Paris ? Quand est-ce que c’est ? » En fait, en sortant de la salle de cinéma, j’ai entendu une femme demander à son amie : « C’était donc ça la Révolution française et elle n’a pas abouti ? »
La question de cette femme mettait en évidence une idée fausse courante sur Les Misérables : le fait qu’il se déroule sur fond de Révolution française, qui a commencé en 1789. Cette révolution, qui a duré jusqu’en 1799, a d’abord renversé la monarchie absolutiste de Louis XVI en faveur d’une monarchie constitutionnelle, puis, après l’exécution de Louis XVI en 1793, a créé une république, c’est-à-dire un gouvernement démocratiquement élu sans monarque. Mais la révolution de 1789 n’est pas la toile de fond des Misérables. Le roman d’Hugo et la comédie musicale se déroulent plutôt pendant la restauration des Bourbons (1815-1830) et le tout début de la monarchie de Juillet (1830-1848). Bien que Hooper inclue un texte rapide de cinq secondes au début du film qui dit : « 1815, 26 ans après la Révolution, il y a de nouveau un roi français sur le trône », peu comprennent le contexte historique implicite et compliqué.
À moins que vous ne veniez de suivre un cours d’histoire de France, vous ne vous souvenez peut-être pas que 1815 marque la fin du Premier Empire français. Après sa défaite à la bataille de Waterloo et son exil ultérieur à Sainte-Hélène, Napoléon abdique en 1815 en tant qu’empereur. De 1815 à 1848, la France a été gouvernée par une monarchie, mais contrairement à la monarchie française absolutiste précédente, souvent appelée « Ancien Régime », la Restauration était une monarchie constitutionnelle qui a débuté avec Louis XVIII, auquel a succédé Charles X. En vertu de la Charte de 1814, une monarchie constitutionnelle signifiait que, même si le roi détenait toujours un pouvoir considérable sur l’élaboration des politiques, ses décrets légaux devaient être adoptés et légitimés par le Parlement avant d’entrer en vigueur. Mais en 1830, Charles X tente de modifier la Charte de 1814 pour restreindre la presse et créer une forme de gouvernement plus absolutiste. Mécontents de cette attaque contre leurs droits, de nombreux Parisiens se sont mobilisés en juillet 1830 et ont forcé Charles X à abdiquer son trône dans ce qui est devenu la Révolution de juillet, ou les Trois Glorieuses en français, en référence aux trois jours du soulèvement. La Révolution de juillet n’est que survolée dans le roman et n’est pas abordée dans la comédie musicale bien qu’elle ait eu un impact sur la Rébellion de juin 1832 qui est mise en valeur dans Les Misérables.
Louis Philippe a succédé à Charles X et était initialement très populaire. Mais, comme les monarques constitutionnels avant lui, il devient plus conservateur, voulant augmenter le pouvoir monarchique. Les conditions de travail et de vie des pauvres se sont rapidement détériorées sous Louis Philippe et l’écart de revenus entre les classes populaires et la bourgeoisie s’est considérablement creusé, entraînant une augmentation de l’opposition, de l’antimonarchisme et des troubles civils. L’un des principaux membres de l’opposition était Jean Maximilien Lamarque, désigné dans le roman et la comédie musicale comme le « général Lamarque ». Autrefois partisan enthousiaste de Louis Philippe, Lamarque est rapidement devenu l’un de ses plus grands opposants, insistant sur le fait que la forme de monarchie constitutionnelle de Louis Philippe était un affront aux droits civils et à la liberté politique. Dans le roman, le général Lamarque est dépeint comme un champion des classes pauvres et ouvrières. Bien que cela soit sous-entendu dans le film, son rôle, au-delà du soutien aux pauvres, reste inexpliqué, ce qui amène beaucoup de gens à se demander pourquoi sa mort a été le catalyseur de l’échec de la rébellion de juin menée par Enjolras, Marius et d’autres « amis de l’ABC ». Menée par des républicains parisiens, dont la plupart étaient des écoliers, qui souhaitaient provoquer une autre rébellion comme celle de juillet 1830 et dissoudre la monarchie, la rébellion de juin a été vaincue et a fait environ 800 victimes à Paris. Bien qu’Enjolras ait mentionné que « les autres barricades sont tombées », le film ne nous permet pas de savoir combien d’autres barricades il y avait ni combien de personnes étaient impliquées dans le soulèvement. Le film ne montre qu’une vingtaine d’hommes aux côtés d’Enjolras et de Marius, ce qui laisse penser au spectateur qu’il ne s’agissait que de la tentative d’une poignée d’écoliers de renverser le gouvernement, alors qu’en réalité, le mouvement était un peu plus important que ce qui était suggéré. Leurs motivations à vouloir renverser le gouvernement ne sont que superficiellement expliquées par la chanson « Do You Hear the People Sing ? ». Bien qu’elle soit une sorte de cri de guerre dans le film, la chanson n’explique pas réellement pourquoi ces hommes, des républicains français, étaient opposés à la monarchie constitutionnelle.
Victor Hugo, lui-même, était à l’origine royaliste et membre du gouvernement de Louis Philippe, mais est devenu mécontent de la monarchie. Dans les années 1830, il a soutenu le républicanisme qui favorisait une forme constitutionnelle de gouvernement avec une plus grande liberté de la presse, une autonomie accrue et un système judiciaire plus équitable. Lorsque la Révolution de 1848 met fin à la monarchie et crée une nouvelle république française, Hugo est élu à l’Assemblée constitutionnelle et à l’Assemblée législative, jouant un rôle actif dans le gouvernement républicain élu. Cependant, cette Seconde République fut de courte durée. Napoléon III, initialement élu président de la Seconde République en 1848, prend le pouvoir en tant que dirigeant monarchique en 1851 et se déclare empereur en 1852. À la suite de cela, Hugo déclare publiquement que Napoléon III est un traître et est exilé à Guernesy. C’est là, pendant son exil, que Hugo a écrit Les Misérables dans les années 1850 et au début des années 1860. Les Misérables n’étaient donc pas seulement une critique politique du règne de Louis-Philippe dans les années 1830 et 1840, mais aussi de la domination de Napoléon III sur la France dans les années 1850. Hugo espérait que Les Misérables révélerait les injustices sociales qui se produisent sous tout régime monarchique ou impérial, suscitant ainsi le soutien à la République française. En se concentrant sur la mort et la souffrance des pauvres et des révolutionnaires, Hugo s’est également assuré d’expliquer que plus de liberté aurait un prix et que les tentatives de renverser un gouvernement seraient parfois infructueuses, mais valaient la peine d’être combattues.
La comédie musicale a non seulement omis la critique politique cinglante de Hugo à l’égard de Louis Philippe, et de Napoléon III, mais aussi les sentiments anticléricaux épousés dans le roman de Hugo. Avec le rétablissement de la monarchie en 1815, l’Église catholique romaine est redevenue une force puissante dans la politique et la société françaises. Hugo montre l’importance de l’Église catholique pour la société française à cette époque en soulignant l’importance de l’évêque Myriel pour sa communauté et en mettant en scène de nombreuses scènes dans des couvents et autres maisons religieuses. Cependant, il ne faut pas confondre l’inclusion de ces personnages et de ces scènes avec des éloges. En s’opposant de plus en plus à la monarchie, Hugo s’oppose également de plus en plus à l’Église. Bien qu’il ait été élevé dans la religion catholique et qu’il soit resté croyant (la dernière ligne de son testament dit « Je crois en Dieu »), il n’avait que faire de la religion organisée et considérait souvent que l’Église était responsable de l’augmentation de la souffrance des pauvres en raison de la réduction des services publics et de ce qu’il considérait comme une apathie générale du peuple. Mais, sur la base de la comédie musicale et du film, on pourrait conclure que Hugo était un fervent partisan et admirateur de l’Église catholique.
Une autre question qui aurait pu être mieux abordée dans le film est la situation de vie particulière de Fantine et Cosette. Nous apprenons très tôt que Fantine, qui travaille initialement à l’usine de Valjean, a une fille illégitime qu’elle a envoyée vivre chez un aubergiste, Thénardier, et sa femme. Après avoir vu le film, mon père et l’un de mes amis m’ont demandé : « Pourquoi Fantine enverrait-elle sa fille vivre chez un aubergiste et le paierait-elle si Cosette travaille pour eux ? ». Envoyer des enfants, en particulier des filles, vivre et travailler dans d’autres foyers était une pratique assez courante à cette époque.
Similaire à la servitude sous contrat, les jeunes filles étaient employées comme domestiques dans des foyers partout en Europe. Payées à la fin de leur mandat, ces domestiques étaient généralement autorisées à vivre dans le ménage dans des logements fournis et, en vertu des lois sur la couverture, elles dépendaient légalement du chef du ménage dans lequel elles vivaient. Pour de nombreuses mères célibataires comme Fantine qui ne pouvaient probablement pas se permettre de s’occuper complètement de Cosette, et encore moins de la surveiller pendant la journée, envoyer un enfant loin pour travailler et vivre aurait été une décision difficile, mais nécessaire.
Les Misérables est un chef-d’œuvre musical et une expérience cinématographique tout à fait agréable, même sans le contexte historique. Cependant, si vous êtes distrait par des questions contextuelles persistantes, je vous suggère de parcourir la page Wikipédia sur Les Misérables (le roman) avant de voir le film. Cet article vous fournira un bref synopsis de l’intrigue, des personnages et suffisamment de contexte historique pour que vous ne vous sentiez pas perdu. Et peut-être transmettre cette information à vos amis et à votre famille à l’avance afin que vous ne soyez pas celui qui est poussé toutes les quelques minutes pour obtenir des réponses à des questions historiques.
Cette critique a d’abord été publiée sur Not Even Past.
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Images : L’affiche du film Les Misérables ; une caricature de Victor Hugo de 1849 (Wikimedia Commons) ; une image fixe du film.
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