Le requin du Groenland est l’une des plus grandes espèces marines du monde, atteignant des longueurs de plus de 19 pieds. Et pourtant, ces poissons, qui préfèrent les eaux profondes et froides des océans Arctique et Atlantique Nord, ont largement échappé à l’étude scientifique.
Leur caractère évasif souligne à quel point nous en savons peu sur les écosystèmes marins de l’Arctique – et combien nous pouvons en apprendre en développant et en employant de nouvelles technologies.
Pour les scientifiques comme nous, l’observation et le suivi des espèces marines peuvent être difficiles dans les meilleures circonstances. Mais l’échantillonnage à des profondeurs extrêmes et dans des eaux recouvertes de glace de façon saisonnière est particulièrement difficile.
Toutefois, nous avons récemment capturé certaines des premières séquences vidéo sous-marines de requins du Groenland dans l’Arctique canadien. Les enregistrements nous ont donné un aperçu précieux de leur abondance, de leur taille et de leur comportement, ainsi que de leur répartition dans l’Arctique canadien.
Ces résultats sont la première étape pour combler une importante lacune dans les connaissances sur l’état de la population du requin du Groenland. Et nous l’avons fait sans prélever aucun requin dans l’eau.
**********
Jusqu’à présent, la plupart de ce que nous savions sur les requins du Groenland provenait des registres historiques des débarquements commerciaux. Ils ont été pêchés dans l’Atlantique Nord pour leurs foies gras jusqu’en 1960. Une récolte limitée a encore lieu au Groenland, et l’espèce est parfois rencontrée en tant que prise accessoire dans les pêches qui ont lieu dans son aire de répartition géographique.
Mais dans les zones de l’Atlantique Nord et de l’Arctique où la pêche commerciale n’a pas eu lieu historiquement – comme les eaux de l’archipel arctique canadien – leur aire de répartition géographique complète est restée inconnue.
En raison de leur comportement lent et apparemment léthargique, le requin du Groenland fait partie de la famille des « requins dormeurs ». Bien qu’il soit un nageur remarquablement lent et qu’il soit effectivement aveugle, grâce à des parasites oculaires, le requin du Groenland est l’un des principaux prédateurs de l’Arctique.
Bien qu’ils se nourrissent principalement d’un buffet varié de poissons de fond, il existe des preuves qu’ils peuvent capturer des phoques vivants. La façon dont ils attrapent ces mammifères marins qui nagent rapidement, reste un mystère pour les chercheurs.
Les requins du Groenland sont de loin les plus gros poissons de l’Arctique. Ils rivalisent avec le grand requin blanc en termes de longueur, si ce n’est son facteur de peur.
Les scientifiques se sont également interrogés sur leur durée de vie et leur taux de croissance. Ils semblent grandir extrêmement lentement – moins d’un centimètre par an – et n’atteindraient pas la maturité avant que les femelles ne mesurent 15 pieds de long et les mâles environ 10 pieds de long.
Ils ont également une durée de vie remarquable. Des scientifiques ont récemment utilisé des techniques de datation au radiocarbone sur le cristallin d’un requin du Groenland et ont découvert qu’ils pouvaient vivre plus de 272 ans, ce qui fait de cette espèce le vertébré le plus long de la planète.
Bien qu’il s’agisse de traits impressionnants, leur âge et leur grande taille rendent les requins du Groenland plus vulnérables aux facteurs de stress tels que la surpêche ou la perte d’habitat que d’autres poissons.
**********
Les scientifiques en savent peu sur les requins du Groenland qui vivent dans les eaux non pêchées de l’est de l’Arctique canadien. Pour aider à recueillir des informations sur les requins résidant dans cette région, nous avons appâté des caméras avec des calmars et les avons lâchées dans les eaux profondes du Nunavut.
Après deux saisons estivales sur le terrain, nous avions plus de 250 heures de vidéo haute résolution enregistrées à 31 endroits.
Les requins du Groenland sont arrivés à 80 % de nos déploiements. Nous avons utilisé la vidéo pour distinguer un individu du suivant sur la base de leurs marques cutanées uniques, une méthode que les chercheurs utilisent également pour identifier pour les requins-baleines et les grands requins blancs. Au total, nous avons identifié 142 requins individuels.
Les vidéos nous ont également fourni des informations supplémentaires sur les requins, notamment leur longueur et leur vitesse de nage. À certains endroits, les requins étaient relativement petits – moins de 1,5 mètre de long – à d’autres, ils mesuraient plus de trois mètres, mais presque tous étaient probablement encore trop jeunes pour se reproduire.
Les chercheurs utilisent de plus en plus la vidéo pour étudier la faune marine. Les relevés à l’aide de caméras appâtées éliminent les effets néfastes des relevés scientifiques à la palangre, où les poissons sont capturés par des hameçons. Même si les requins sont relâchés par la suite, beaucoup souffrent du stress de la capture ou peuvent s’emmêler dans l’engin de pêche, ce qui peut entraîner la mort.
**********
Nous avons effectué la majeure partie de ce travail dans la région de Tallurutiup Imanga (détroit de Lancaster), qui pourrait devenir la plus grande aire marine protégée du Canada.
Cette zone est connue comme une aire d’alimentation et de croissance vitale pour de nombreuses espèces arctiques d’importance écologique et culturelle inuite, notamment les baleines, les oiseaux de mer, les ours polaires, les phoques et les morses. Nos données vidéo montrent maintenant que cette zone pourrait de être importante pour les requins du Groenland aussi, au moins pendant les mois d’été.
À une époque où les océans se réchauffent rapidement, où la couverture de glace de mer de l’Arctique diminue et où l’on s’intéresse de plus en plus à la pêche et à la conservation de l’Arctique, il est important que nous comprenions les domaines de ces grandes et anciennes créatures.
Cet article a été initialement publié sur The Conversation.
Brynn Devine, candidate au doctorat, Université Memorial de Terre-Neuve
Jonathan A. D. Fisher, chercheur scientifique, Université Memorial de Terre-Neuve
.